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Poupoune

La mort du vieux

23 Août 2014, 08:26am

Publié par Poupoune

Ça faisait un petit moment déjà que je me demandais si mon voisin de palier n’était pas mort.

Non pas qu’une quelconque odeur ait commencé à infester tout l’étage, non, rien d’aussi glauque, mais je ne le voyais plus. Ce n’est pas que j’avais l’habitude de le voir si régulièrement, mais c’est vrai que je le croisais quand même de loin en loin. Sa femme, très rarement et jamais seule. Mais depuis quelque temps, c’est elle que je croisais et lui, plus du tout. Et, bien sûr, ce sont des personnes âgées, sans quoi je ne me serais pas inquiétée de ne plus le voir, le vieux, s’il avait été jeune…

Bon, alors vous me direz, vu que ça n’empuantissait pas tout l’immeuble, ce n’était pas exactement mon problème, qu’il soit mort ou vif, le voisin, mais que voulez-vous ? Mon âme tendre se faisait du souci pour la vieille. Si elle ne sortait pas, laissant faire les courses à son mari, c’était peut-être bien parce qu’elle n’avait plus vingt ans et je me demandais s’il ne serait pas de bon ton de lui proposer mon aide, maintenant que son bonhomme avait clamsé. D’un autre côté, vu que je suis ce genre de voisine qui ne va même pas à la fête des voisins et qui n’a jamais vu les trois quarts des habitants de l’immeuble, la probabilité que le vieux ne soit pas mort, mais que je ne le voie simplement plus parce que je ne vois pas grand monde de toute façon était plutôt forte.

Aller voir ma pauvre vieille voisine avec les meilleures intentions du monde et lui annoncer son veuvage par anticipation pourrait être mal interprété. Sans compter que ce serait un peu ingrat, pour moi, de me voir claquer la porte au nez sur un malentendu.

J’ai essayé d’être plus attentive, de guetter leurs allées et venues, mais il y a deux catégories de vieux : ceux qui s’emmerdent et les autres. Ceux qui s’emmerdent, ils persistent à faire leurs courses le samedi, pour voir du monde. Ils prennent le bus aux heures de pointe, pour voir du monde. Ils vont chez le médecin après dix-huit heures, pour voir du monde. Ceux qui s’emmerdent, tu ne peux pas les louper. Mais les autres, à moins d’être en vacances à la maison, tu ne les croises jamais. Et mes petits vieux sont de cette catégorie-là. Autant dire que malgré toute l’attention que j’ai essayé de leur porter, je n’ai pas résolu mon mystère.

Elle, je l’ai encore croisée quelques fois, lui non, mais sans déceler de signe évident qu’il était bel et bien mort, comme par exemple un long voile noir que madame aurait pu arborer sur une mine défaite pour me donner une indication fiable de l’état de son mari. Alors j’ai fini par me décider à aller la voir, en me disant qu’après tout ça ne pourrait pas être complètement mal perçu qu’une gentille voisine se montre attentionnée à l’égard de sa vieille voisine. Même en cas de méprise sur le décès de monsieur.

J’ai sonné. Plein de fois, parce qu’une vieille endeuillée c’est forcément un peu sourd. La porte s’est ouverte sur le vieux.

Je crois qu’il a dit un truc du genre « ça va pas de sonner comme ça, y a un problème ? », mais je n’en jurerais pas, parce que j’ai été tellement surprise de le voir, de me retrouver en quelque sorte face à un fantôme, que j’ai poussé un cri strident avant de lui balancer mon sac dans la tête. Un réflexe idiot, je sais, mais il m’a fichu une de ces frousses !

Pauvre vieux. Sa tête a rebondi contre le mur et puis il s’est effondré là, à mes pieds, mort avant d’avoir touché le sol.

Du coup, j’ai pu présenter mes condoléances à la vieille sans craindre de faire un impair.

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